Si la question du langage occupe une place centrale dans l’œuvre de Walter Benjamin (2), elle se fait cependant beaucoup plus discrète à partir de la seconde moitié des années 1920. Discrète, mais non moins déterminante; car c’est cette question qui, sous la forme d’une « archéologie de la modernité » (3), aiguille la plupart des derniers travaux de Benjamin, et surtout ceux qu’il consacre au XIXe siècle parisien (4). Or en prenant une forme nouvelle, c’est-à-dire matérialiste, la question du langage oblige Benjamin à réexaminer sa première théorie du langage. Sans en changer tout à fait, il ne se contente pas non plus de lui donner un vague habillage marxisant (5); plutôt cherche-t-il à la transformer de façon à pouvoir rendre compte de phénomènes qui, tout en ayant part à des « ressemblances non sensibles [unsinnliche Ähnlichkeit] » (6), se manifestent à même la réalité matérielle. L’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit non seulement de faire droit au caractère médiumnique du langage – à sa nature métaphysique, donc –, mais également de montrer en quoi le langage constitue la trame du monde physique. Cette « nouvelle théorie du langage » (7) trouvera son point d’orgue dans un court texte intitulé Sur le pouvoir d’imitation (8), rédigé entre les mois d’avril et de septembre 1933, et publié à titre posthume en 1955 dans le second volume des œuvres complètes de Benjamin. C’est par le biais d’un commentaire serré de ce texte que je me propose d’interroger à mon tour la nature du lien qui unit le langage à la réalité; d’abord parce qu’il s’agit d’un texte qui témoigne on ne peut mieux des contradictions qui travaillent dialectiquement la pensée du langage de Benjamin – entre filiation théologique et ralliement au matérialisme historique –, et que ces contradictions donnent à voir le langage comme le lieu de surgissement de l’être; ensuite parce qu’avec ce texte, Benjamin travaille un ensemble de concepts qui lui permettent d’envisager la réalité à la manière d’un document à déchiffrer.
Références
L’histoire des sciences et l’histoire des idées ont largement montré que les concepts, même les plus abstraits, ne sont jamais tout à fait coupés de la réalité concrète (1). Parce qu’elle doit passer par le discours pour s’énoncer, la pensée a fréquemment recours à des mots, des expressions ou des images qui réfèrent à des réalités parfaitement tangibles. Dans quelle mesure le langage imprime-t-il aux concepts abstraits les marques du réel?
Pour explorer un sujet aussi vaste, je présenterai une réflexion autour d’un exemple précis : je m’appuierai sur le Cours de philosophie positive d’Auguste Comte (2). Cet ouvrage ambitieux entend réaliser une synthèse du savoir par l’examen des six « sciences fondamentales » (la mathématique, l’astronomie, la physique, la chimie, la biologie et l’étude des phénomènes sociaux) (3). En établissant un « système général des conceptions humaines » qui prétend s’attacher aux seules connaissances positives, Comte cherche, entre autres objectifs, à comprendre l’esprit humain et ses « lois logiques » (4). Afin d’être déchiffré, l’esprit doit être abordé à partir de ses produits concrets; c’est à cette condition qu’il pourra être considéré comme une réalité observable et étudié comme telle. Il n’en reste pas moins que la perspective de Comte recèle une difficulté : comment peut-on (se) figurer la matérialité d’un concept tel que l’esprit qui, par définition, est censé échapper à l’ordre matériel et sensible? J’avancerai l’hypothèse suivante : le langage spécifique employé par Comte pour parler de l’esprit tend à accomplir une « matérialisation » de l’esprit. Plus exactement : par le recours à divers procédés de langage, le concept d’esprit se voit représenté dans le Cours de philosophie positive comme une réalité matérielle, tout à fait tangible. À titre d’exemple, plusieurs emprunts métaphoriques au vocabulaire de la biologie cherchent à présenter ce concept sous l’aspect d’une entité organique, animée de fonctions vitales. On peut aussi songer à l’usage récurrent que le philosophe fait de la prosopopée, par laquelle l’esprit est en quelque sorte personnifié et vitalisé. C’est en examinant, au total, en quel sens l’intrication du langage et de la réalité se reflète dans la pensée conceptuelle — en l’occurrence, celle d’Auguste Comte — que cette contribution espère faire avancer la réflexion au centre de la présente édition de VocUM.
Bibliographie
Drawing on John Deely’s theory of intentionality and the concept of umwelt, I seek to demonstrate the existential aspect of Suhrawardi’s Ishraqi philosophy. I argue that although Suhrawardi’s philosophy is founded on the ontology of light, it is reality and experience that constitute a significant part of his ontology. Shahab al-Din Suhrawardi – one of the most prominent philosophers of the Islamic world in the 12th century – founded the Ishraqi (Illumination) doctrine which is regarded to be completely metaphysical. Through a semiological analysis of his mystical narratives I argue that he does not try to differentiate ens reale from ens rationis, rather he stresses the being itself and the sensation experience of reality in different states of understanding, not beyond but, within the umwelt. To achieve this goal, I seek to conjoin Suhrawardi’s ontology of light with semiotic analysis of the symbols. The existential status of symbols in Suhrawardi’s mystical narratives means that they are not subsumed under the class of linguistic product, but as the particles of light, they are real and have ontological existence. The component parts of the symbols – signified and signifier – are identical, and that is why they are self-referential. Such an approach to Suhrawardi’s philosophy provides an alternative and further studies on the doctrines of Islamic philosophy which mainly revolve around the purely metaphysical concepts.
The development of Ludwig Wittgenstein’s philosophy of language, between the Tractatus Logico-Philosophicus and the Philosophical Investigations, parallels the development of the field of artificial intelligence over the past half century. Each started from the view that their discipline could be reduced to a form of logic; that philosophy was at root a kind of logical analysis, or that AI was essentially applied logic. Both projects failed, and took an anti-reductionist turn by looking beyond logic to patterns of usage.
AI research has put into effect the slogan “a word is known by the company it keeps”; its systems learn to process language through “deep learning” digestion of massive datasets. Like alchemy, its practical success outstrips its theory. Wittgenstein pivoted from focusing on abstract form to considering concrete linguistic context as a bedrock. For both, the resulting explanations are seen not as logical deductions, but as emergent properties of complex systems, in this case the forms that people’s interactions take in the world.
These developments parallel ideas like “codependent origination,” pioneered by Buddhist philosophers in antiquity, for example Nagarjuna, which are largely absent in Western speculative philosophy. Douglas Hofstadter noted this decades ago in his discussion of “Indra’s Net” in the context of (both biological and artificial) neural activity.
Perhaps our theories of language, natural and artificial, have been hobbled by implicit attachment to restrictive views of logic and ontology inherited from the Ancient Greeks. When we understand both our reality and our languages as complex systems in themselves, rather than as their traditional reductions, we can be optimistic about representing reality, instead of pessimistic about the limits of truth. In this presentation, we explore some of the ideas from contemporary non-classical logics which may be more suitable for complex systems thinking.
References