Langage et traditions

10 novembre 202310h45-12h00C-3061 pav. Lionel-Groulx, Université de Montréa
 
L’art culinaire au Maroc : tradition orale et image sociale

Hamid Jaafar (École normale supérieure, Université Hassan II, Casablanca)

On oublie trop souvent que l’édifice traditionnel et le fondement ancestral de l’art culinaire marocain ne sont pas seulement composés de pratiques rituelles, mais aussi de normes morales et sociales. Surinvestir l’une de ces dimensions et en sous-estimer une autre, c’est pratiquer « une cuisine » lacunaire. Si nous apportons ces précisions en incipit, c’est pour bien indiquer que ce n’est certes pas la femme marocaine qui est ici en cause. Ce sont en revanche des attitudes et des réactions liées à des pratiques et conventions incrustées dans la mémoire collective qu’il nous apparaissait instructif de relever, entre considérations pour les choses sacrées et interactions bien prosaïques. Après avoir traduit des proverbes en arabe marocain, lesquels véhiculent un quotidien purement marocain, nous avons pu constater que le langage proverbial attribue à la cuisine des représentations sociales qui sont ancrées dans la culture : autant de qualités et de défauts qui distinguent la cuisine marocaine. À vrai dire, la cuisine, dans ces proverbes, est un sujet qui occupe une grande place dans la culture marocaine.

Nous avons opté pour une méthode qualitative. Ainsi, après avoir collecté et traduit le corpus sur l’art culinaire marocain, nous avons dégagé un aperçu multidimensionnel : historique, culturel, linguistique et symbolique. Nous avons traité cette thématique sous deux angles : constructif et dépréciatif. Les proverbes attachés à la cuisine dépréciative représentent la gourmandise, l’avarice, la paresse, les mauvaises habitudes et les mauvaises manières. Pour ce qui est de la cuisine constructive, les proverbes traitent de l’hospitalité, la modération, la perfection, la générosité et les bonnes habitudes. Ainsi, la parole proverbiale a ce pouvoir de devenir l’instrument de médiation et d’interaction entre la pratique culinaire et sa représentation sociale. Cette pratique instaure une divergence de la culture culinaire entre deux classes : riche et pauvre.

Notre participation serait un tableau consensuel qui unit le culturel et le langagier pour forger une image mentale et une description multidimensionnelle de la notion d’art culinaire et qui, à travers des enquêtes de terrain, nous a permis de nous poser des questions et de distinguer entre ce que mangent les pauvres et ce que dégustent les riches. Tout en menant cette démarche qualitative, nous essayons de répondre aux questions suivantes :

  • À travers la parole proverbiale, quelle image adapte la mémoire collective quant aux activités culinaires au Maroc ?
  • Comment cet art culinaire participe-t-il à distinguer la catégorie ou la classe sociale des Hommes?
  • Quelle est la place qu’occupe l’art culinaire au sein de la vie conjugale ?

 

Bibliographie :

« Le Matin – Comment les proverbes marocains représentent-ils les rapports hommes-femmes au Maroc ? », http://lematin.ma/journal/2014/images-du-feminin-et-du-masculin_comment-les-proverbes-marocains-representent-ils-les-rapports-hommes-femmes-au-maroc–/194391.html

« Le sens métaphorique et argumentatif des proverbes », https://praxematique.revues.org/2889.

ادريس داوود. 2007. الامثال الشعبية المغربية. مكتبة السلام الجديدة, proverbe marocain


La Ville Oublieuse : La mémoire comme outil d’affranchissement dans Texaco de Patrick Chamoiseau.

Glenda Ferbeyre (Université de Montréal)

Dans le roman Texaco de Patrick Chamoiseau, la ville de Saint-Pierre incarne le symbole de l’amnésie collective. L’esclave affranchi Esternome la découvre un jour, étrange et méconnaissable : une « ville massive. Ville porteuse d’une mémoire dont ils étaient exclus » (Chamoiseau). Cette rencontre marque le début de sa conquête, son inscription lente dans la mémoire collective du pays. Un long parcours qui se poursuit lorsque sa fille Marie Sophie Laborieux fonde le bidonville Texaco.

La mémoire devient par la suite une défense du droit à exister. Les personnages en font mention à plusieurs reprises, en tant qu’outil de force et de résistance. Mémoire et langage sont indissociables, car ce dernier permet de reconnaître les pratiques de vie invisibilisées par l’Histoire monolithique racontée par le colonisateur. Ainsi, dans Texaco, il est question de contourner une mémoire des communautés marginalisées, dont l’exercice en légitime la permanence.

Au cours de notre présentation, nous chercherons à identifier deux fonctions de la mémoire dans ce roman. Premièrement, elle contribue à légitimer la prise de parole des sujets subalternes, tels que ceux qui habitent le quartier populaire Texaco, en démarquant la géolocalisation épistémologique du discours (Migolo). Par ailleurs, la mémoire s’oppose à l’aveuglement du pouvoir et déconstruit le mariage amnésique de l’administration métropolitaine avec Saint-Pierre, une ville qui prétend effacer ses fondations et les histoires de vie qui s’y entremêlent.


Quand la voie de la coutume traverse la voix textuelle : la mémoire folklorique dans Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach

Sophie Archambault (CRILCQ, UQAM)

Le savoir du peuple est souvent relégué au statut de connaissance illégitime au sein des textes littéraires. La littérature est surtout reconnue pour mettre en lumière une culture aristocratique qui se veut élaborée dans les classes supérieures pour ensuite se déformer et se dégrader dans les classes subalternes (Privat, 1994, p. 12-13). Toutefois, la variété culturelle propre à la littérature offre bel et bien à voir la conservation des coutumes, mœurs et croyances populaires dans les textes, faisant ainsi de ces derniers des objets culturels garants d’une mémoire ancienne (Samoyault, 2001, p. 57) de la culture du peuple (folk lore). Cette communication vise l’étude de cette persistance de la mémoire folklorique dans le roman de Georges Rodenbach publié en 1892, Bruges-la-Morte.

Dans le roman, les béguines de Bruges, animalisées par leur démarche qui s’apparente à celle du cygne, permettent de décoder la présence d’une mémoire folklorique associée à de vieilles légendes orales chrétiennes. Celles-ci reproduisent d’une manière dissimulée et déformée un conte populaire, La fille du diable, qui raconte le voyage de fées-cygnes voguant entre le pays des vivants et celui des morts, témoignant de la persistance d’une mémoire folklorique à même le texte. De plus, lors d’une scène où le protagoniste est assailli par le sentiment d’une mort imminente à la vue d’un cygne chantant, la résurgence soudaine du proverbe populaire « le chant du cygne » (M. de la Mésangère, 1823, p. 157) au sein de la narration met en évidence une vieille croyance populaire associant le cygne à une mort relativement imminente. Ces imbrications de mœurs liées au cygne soutiennent la convergence de différents éléments du récit pour les faire culminer vers un champ lexical funèbre qui accentue une véritable poétique du cygne par l’intermédiaire de la mémoire folklorique.


 

Bibliographie :

M. de la Mésangère (dir), Dictionnaire des proverbes français, Paris, Crapelet, 1823,756 p.

Privat, Jean-Marie, Bovary Charivari, Essai d’ethnocritique, Paris, CNRS Éditions, 1994,315 p.

Rodenbach, Georges, Bruges-la-Morte, Paris, Flammarion, 1892, 352 p.

Samoyault, Tiphaine, L’intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2001, 123 p.

Modératrice

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