Bloc 3 – (Dés)information et intelligibilité

15 novembre 202409h45-11h15C-3061 pav. Lionel-Groulx, Université de Montréa
Comprendre, c’est pouvoir prendre par l’intelligence:
L’implicite intentionnel par l’usage métaphorique et la manipulation du sens

Daiki Yoshitake, Tokyo University of Foreign Studies, Japon

Si le langage est un « instrument de communication », on peut s’étonner qu’il recoure aussi constamment à l’implicite. L’existence du présupposé est manifestement liée à des principes d’économie ; la communication serait impossible si l’on ne présupposait pas acquis un certain nombre d’informations, à partir desquelles il est possible d’en introduire de nouvelles. C’est pour les sous-entendus intentionnels, c’est-à-dire ceux dont l’énonciateur provoque le décryptage chez le co-énonciateur, que la réponse apparaît moins évidente.
(Maingueneau 2020 : 359)

Le changement sémantique est généralement reconnu rétrospectivement en présumant l’existence de la polysémie de notre époque. Cependant, pour les locuteurs d’une époque antérieure, les nouveaux usages étaient perçus comme innovants et ambigus. L’introduction de ces nouveaux usages pouvait brouiller la frontière entre « le sens littéral » et « leur intention véritable », où l’utilisation du « sens originel » servait à masquer l’intention véritable et à inciter le récepteur à rechercher une signification implicite.

Un exemple de ce phénomène est visible dans l’expression « Je ne comprends pas », qui implique souvent l’idée « Je ne peux pas comprendre » d’un point de vue. Cela dit, à l’origine, le verbe comprendre signifiait « saisir » avant d’acquérir les sens d’« englober » et de « saisir par l’intelligence » (cf. Rey 2016). Toutefois, le changement sémantique se manifeste plutôt graduellement par l’inférence métaphorique et métonymique (cf. Hopper et Traugott 2003). Autrement dit, la direction du changement sémantique pourrait être influencée par certains biais cognitifs, ce qui conduit à l’ambiguïté sémantique.

Dans ce travail, nous montrerons d’une part que le biais cognitif s’est traduit par la cooccurrence fréquente du modal pouvoir, qui est associé à la notion de « compréhension », et d’autre part que cela a constitué une étape importante dans le changement sémantique du verbe comprendre.

L’analyse s’appuie sur le corpus FRANTEXT. Les données montrent que le sens de « prendre par l’intelligence » représente 42.54% en moyen français et 79.60% en français classique. Par ailleurs, en moyen français, les sens d’« englober » et de « saisir » s’observent majoritairement et l’usage du sens cognitif de « prendre par l’intelligence » s’accompagne plus fréquemment, qu’en français classique, du modal pouvoir.

Le résultat laisse entendre qu’en moyen français, les locuteurs utilisaient le verbe comprendre avec le sens de « prendre avec l’intelligence » par l’inférence métaphorique du sens de « prendre » et d’« englober » ; cela dit, en combinant comprendre avec pouvoir, qui était le modal le plus compatible avec comprendre, le tout faisait ressortir le biais cognitif de la peine accompagnée de l’action de la compréhension. Ce biais cognitif, chez le conceptualiseur, aurait engendré la cooccurrence intentionnelle du modal pouvoir par l’inférence métonymique, dans le but de fausser le sens originel et ainsi permettre aux récepteurs d’identifier la signification implicite.


 

Bibliographie :

Hopper, Paul-J & Traugott, Elizabeth Closs (2003) Grammaticalization, Cambridge University Press.

Maingueneau, Dominique (2020) Manuel de linguistique pour les textes littéraires, Armand Colin.

Rey, Alain (2016) Dictionnaire Historique de la Langue Française, Le Robert.


Résumé en espagnol

La información a través del olfato
Ideófonos olfativos en huehuetla tepehua, una lengua totonaca

Ingrid Tiscareño, Université du Québec à Trois-Rivières / GRIPI / LEDiR

A través de la exposición repetida a diversas experiencias sensoriales, el ser humano aprende a integrarlas gradualmente y dar sentido al mundo que lo rodea (Barraga, 1992). En la lengua huehuetla tepehua, una lengua totonaca y una de las 68 lenguas autóctonas de México (INEGI, 2022), la integración sensorial olfativa juega un papel crucial. Esto se debe al fenómeno lingüístico de los ideófonos olfativos, que se definen como palabras con propiedades sonoras simbólicas (O’Meara et al., 2019). Por ejemplo, /ʔuli/, traducido al español como «un delicioso olor a flores» (O’Meara et al., 2019, p. 181). Esta traducción ilustra la unión morfosintáctica de varias categorías de palabras en español que dan lugar a una expresión “inefable”, es decir, que no se puede descifrar su esencia exacta (Majid y Burenhult, 2014). Sin embargo, se puede inferir que el “olor a flores” podría hacer referencia a guayaberas y orquídeas durante el mes de mayo y flores de cempasúchil en octubre (López-Gutiérrez et al, 2014); debido a que son flores regionales que se utilizan en ceremonias de renovación y sanación, así como rituales de la comunidad tepehua de Huehuetla (Martínez y Castillo-Oropeza, 2024). Estas asociaciones olfativas enriquecen el lenguaje, ya que crean conexiones emocionales significativas (Echeverría-Palacio et al, 2018). Lo que permite que la información se almacene a largo plazo, ya que la memoria olfativa está ligada al sistema límbico (Roediger et al, 2002; Bernal, 2005). Desde una perspectiva neurocognitiva y un enfoque comparativo en traducción, este estudio explora el referente cultural de los hablantes de huehuetla tepehua y la simbología olfativa de su lengua respecto a su conceptualización en español. De los 45 términos olfativos reportados en el inventario de O’Meara y Kung (2014), se analizaron y comentaron 21 ideófonos olfativos. Los resultados muestran que el desconocimiento de aspectos culturales y geográficos, como el tipo de flora y fauna de la región, puede llevar a traducciones imprecisas, afectando la transmisión adecuada de la información. En conclusión, en lenguas como el huehuetla tepehua, donde la conexión entre los hablantes y la naturaleza es estrecha, es esencial considerar cómo su léxico y gramática están profundamente enraizados en su entorno.

Résumé en français

L’information par l’odorat
Idéophones olfactifs en Huehuetla Tepehua, une langue totonaque

À travers une exposition répétée à diverses expériences sensorielles, l’être humain apprend progressivement à les intégrer et à donner un sens au monde qui l’entoure (Barraga, 1992). Dans la langue huehuetla tepehua, une langue totonaque et l’une des 68 langues autochtones du Mexique (INEGI, 2022), l’intégration sensorielle olfactive joue un rôle crucial. Cela est dû au phénomène linguistique des idéophones olfactifs, qui sont définis comme des mots ayant des propriétés sonores symboliques (O’Meara et al., 2019). Par exemple, /ʔuli/, traduit en espagnol par « un olor delicioso a flores » [une odeur délicieuse de fleurs] (O’Meara et al., 2019, p. 181). Cette traduction illustre l’union morphosyntaxique de plusieurs catégories de mots en espagnol qui donne lieu à une expression « ineffable », c’est-à-dire dont l’essence exacte ne peut être déchiffrée (Majid et Burenhult, 2014). Cependant, on peut inférer que « l’odeur de fleurs » pourrait faire référence à des guayaberas et des orchidées au mois de mai et aux fleurs de cempasúchil en octobre (López-Gutiérrez et al., 2014) ; car ce sont des fleurs régionales utilisées dans des cérémonies de renouvellement et de guérison, ainsi que dans des rituels de la communauté tepehua de Huehuetla (Martínez et Castillo-Oropeza, 2024). Ces associations olfactives enrichissent la langue, car elles créent des connexions émotionnelles significatives (Echeverría-Palacio et al., 2018). Cela permet aux informations d’être stockées à long terme, car la mémoire olfactive est liée au système limbique (Roediger et al., 2002 ; Bernal, 2005). D’un point de vue neurocognitif et d’une approche comparative en traduction, cette étude explore le référent culturel des locuteurs de huehuetla tepehua et la symbolique olfactive de leur langue par rapport à sa conceptualisation en espagnol. Parmi les 45 termes olfactifs signalés dans l’inventaire d’O’Meara et Kung (2014), 21 idéophones olfactifs ont été analysés et commentés. Les résultats montrent qu’un manque de connaissance des aspects culturels et géographiques, tels que le type de flore et de faune de la région, peut conduire à des traductions imprécises, affectant la transmission adéquate de l’information. En conclusion, dans des langues telles que la huehuetla tepehua, où la connexion entre les locuteurs et la nature est étroite, il est essentiel de considérer que son lexique et sa grammaire sont enracinés dans l’environnement naturel qui les entoure.


 

Bibliographie :

Barraga, N. C. (1992). Desarrollo senso-perceptivo. ICEVH Nº77. Córdoba, Argentina. https://www.studocu.com/es-ar/document/universidad-nacional-de-lomas-de-zamora/epistemologia-y-psicologia-genetica/desarrollo-senso/12071034

Echeverría-Palacio, C. M., Uscátegui-Daccarett, A., y Talero-Gutiérrez, C. (2018). Integración auditiva, visual y propioceptiva como sustrato del desarrollo del lenguaje. Revista de la Facultad de Medicina, 66(3), 469-475. https://doi.org/10.15446/revfacmed.v66n3.60490

INEGI. (2022). Estadísticas a propósito del Día Internacional de los Pueblos Indígenas (Comunicado de prensa 430/22). https://www.inegi.org.mx/contenidos/saladeprensa/aproposito/2022/EAP_PueblosInd22.pdf

López-Gutiérrez, B., Pérez-Escandón, B., y Villavicencio-Nieto, M. (2014). Aprovechamiento sostenible y conservación de plantas medicinales en Cantarranas, Huehuetla, Hidalgo, México, como un medio para mejorar la calidad de vida en la comunidad. Botanical Sciences, 92(3), 389-404. https://www.scielo.org.mx/scielo.php?pid=S2007-42982014000300006&script=sci_arttext

Majid, A., y Burenhult, N. (2014). Odors are expressible in language, as long as you speak the right language. Cognition, 130(2), 266-270. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.11.004

Martínez Patricio, G., y Castillo Oropeza, O. A. (2024). Ontologías ecopolíticas en la Sierra Oriental Hidalguense (México): Una mirada sobre la ritualidad de los Ñuhu y Ma’alh’ama’a la Sirena. Revista Kawsaypacha: Sociedad y Medio Ambiente, (13). https://revistas.pucp.edu.pe/index.php/Kawsaypacha/article/download/27356/26520?inline=1

O’Meara, C., y Kung, S. S. (2014). Olfactory lexicon research on huehuetla tepehua. En The archive of the indigenous languages of latin America. https://islandora-ailla.lib.utexas.edu/islandora/object/ailla%3A251400

O’Meara, C., Kung, S. S., y Majid, A. (2019). The challenge of olfactory ideophones: Reconsidering ineffability from the Totonac-Tepehua perspective. Max Planck Institute. https://www.mpi.nl/publications/item3046096/challenge-olfactory-ideophones-reconsidering-ineffability-totonac-tepehua

Roediger, H. L., Marsh, E. J., y Lee, S. C. (2002). Varieties of memory. Wiley online library. https://doi.org/10.1002/0471214426.pas0201


Misinformation: Ontological and epistemological questions of misinformation research

Claudia B. Claros, McGill University / CSDH

(Mis)information is false information. The simplicity of this statement sits on ontological and epistemological questions brought to the surface by technologies of the digital information age: how do we know that information is true or not? And how can we come to establish that it is true or not? This presentation analyses information in terms of its meaningfulness, falsity or veracity, and the consensus that establishes it. Following the linguistic turn, not all information lends itself to evaluation as true or false. But even when information is false, it retains its meaningfulness. This theoretical discussion of meaning, veracity and consensus is then placed in context, first from the phenomenological perspective of users navigating digital environments and then from structural standpoints on the sociotechnical ecosystem, created by users engaging with information and the technologies that facilitate it.

The epistemological and ontological questions of research on deceptive, misleading or false information nuance debates on possible (and plausible) interpretations of the empirical evidence. For example, findings on user consumption and acceptance of misinformation lend themselves to contrasting explanations of its determining factors: users’ social environments as opposed to individual, more or less rational cognitive processes. Different conceptualizations and instantiations of the problem will then have consequences for the avenues of investigation considered worth travelling and the mitigation strategies rolled out to manage information disorders. From one perspective, misinformation might challenge trusted methods and institutions of knowledge, from another, it might mean something to whoever believes it; how can we find paths and avenues of consensus? How does agency emerge in the balance? This presentation aims to open perspectives by asking questions on what misinformation is, and how we know that it is.


Peut-on réconcilier l’écriture inclusive avec les besoins de la communication orale?

Geneviève Beaupré (iel), Université de Montréal

L’art de raconter et l’humour reposent en grande partie sur le dévoilement stratégique des informations : quoi révéler, quand, comment et avec quel degré de clarté.

Les francophones ont souvent l’obligation grammaticale d’attribuer un genre aux personnes dont elles parlent, ce qui peut avoir un impact sur ce qui est raconté. À cela s’ajoute le rejet de plus en plus répandu du masculin générique, qui peut entraîner des conséquences farfelues. Voici ce que donnerait une blague toute simple avec des doublets complets : « Combien de mécaniciennes ou de mécaniciens faut-il pour changer une ampoule? Une seule ou un seul, mais elle ou il… »

En racontant une blague ainsi, on risque de faire rire de soi bien avant de pouvoir dévoiler la chute. Pourtant, si le rejet du masculin générique et l’adoption d’une écriture inclusive reposent sur des valeurs morales et politiques, ces valeurs ne disparaîtront pas au moment de s’exprimer à l’oral. Si le masculin générique ne convient pas pour désigner une personne sans lui attribuer un genre, que faire? Une phrase toute simple comme « Trouve-toi un avocat! » peut poser un dilemme : taire les mots « … ou une avocate » qui risquent de se présenter à l’esprit, ou les dire et alourdir la phrase?

Cette situation entraîne également des problèmes dans la traduction de l’anglais vers le français. Par exemple, comment rendre l’expression a talented actor à l’oral en français, sans donner d’information quant au genre de la personne désignée?

J’évaluerai différentes pistes de solutions pouvant conduire à une écriture inclusive plus facile à concilier avec la communication orale, notamment celles proposées par Céline Labrosse, par Alpheratz et par Alexandra Dupuy, Michaël Lessard et Suzanne Zaccour. Pour finir, j’envisagerai la figure de la syllepse comme outil pour s’exprimer à l’oral de manière inclusive sans utiliser les doublets ni créer de néologismes.

Modérateur

Gabriel Labrie