Block 2 – (Mis)information and Rhetorical Strategies

14 November 202413h45-15h15C-3061 pav. Lionel-Groulx, Université de Montréa
Faire « l’ingénierie de la biologie » pour sauver la planète? : une analyse des métaphores du vivant portées par l’imaginaire sociotechnique de la biologie de synthèse

Éloise M. Tanguay, Université de Montréal

Domaine technoscientifique en pleine expansion, la biologie de synthèse a comme objectif de fabriquer des entités biologiques détenant une application commerciale. En plus de ses visées économiques, ses promoteurs annoncent qu’elle constituera une solution aux enjeux engendrés par la crise écologique. Le rapport au vivant sous-tendu par ce type de promesse technoscientifique mérite d’être éclairé à l’heure où les solutions techniques à la crise écologique sont de plus en plus valorisées. Pour ce faire, il est pertinent d’analyser les métaphores du vivant portées par l’imaginaire de la biologie de synthèse. Plus spécifiquement, je mobiliserai le cadre d’analyse des « imaginaires sociotechniques » développé par la sociologue Sheila Jasanoff. Ceux-ci, partagés collectivement, portent et propagent certaines visions d’un « futur désirable » (Jasanoff, 2015 : 4) atteignable par des développements technoscientifiques (Jasanoff, 2015).

Pour approcher l’imaginaire sociotechnique des promesses écologiques de la biologie de synthèse, j’adopte l’angle des métaphores du vivant qu’il sous-tend. Selon la linguistique cognitive de George Lakoff et Mark Johnson, les métaphores permettent de rapporter des concepts abstraits à des expériences plus proches de notre vécu (Lakoff et Johnson, [1980] 2003). Étant un outil fondamental à la communication scientifique, c’est par les métaphores que le discours scientifique peut entrer dans l’imaginaire des sociétés (Hellsten, 2002). Elles ont donc un impact significatif sur les manières dont seront compris, perçus et valorisés les développements scientifiques et technologiques. Entrant en résonance avec certaines valeurs sociales et culturelles dans une société donnée, elles orientent et façonnent la manière dont sont imaginés certains « futurs désirables » (Jasanoff, 2015 : 4).

Avec une analyse de discours de 134 articles provenant de magazines de vulgarisation scientifique, d’information économique et de médias généralistes, je relèverai les métaphores relatives aux promesses écologiques de la biologie de synthèse. Je démontrerai que son imaginaire s’appuie sur une représentation machinique et informationnelle du vivant. Par le fait même, cette analyse montrera que la volonté de mettre les processus biologiques en ressource se décline elle-même en deux tendances. D’une part, le vivant est posé dans les termes d’une matière première inerte et malléable. D’autre part, il est représenté comme une entité active qui peut être mise au travail. Les discours promoteurs de la biologie de synthèse véhiculent donc d’une radicalisation de la volonté d’englober les processus biologiques dans la production industrielle.


Bibliographie partielle :

Hellsten, Iina. 2002. The Politics of Metaphor Biotechnology and Biodiversity in the Media. Tampere : Tampere University Press.

Jasanoff, Sheila. 2015. « Future Imperfect: Science, Technology, and the Imaginations of Modernity ». Dans Dreamscapes of Modernity : Sociotechnical Imaginaries and the Fabrication of Power. Sous la direction de Sheila Jasanoff et Sang-Hyun Kim, 1-33. Chicago : The University of Chicago Press.

Lakoff, George et Mark Johnson. (1980) 2003. Metaphors We Live By. Chicago : The University of Chicago Press.


Acte de conter dans Les Mille et Une Nuits : Acte intentionnel de désinformation ou thérapeutique?

Najmeh Abdi, Université de Montréal

L’homme, depuis toujours, a un désir inné de raconter et d’entendre des histoires. Cet intérêt pour conter a toujours été un élément déclencheur dans les créations littéraires. L’un des ouvrages les plus célèbres où les personnages procèdent à l’acte de conter c’est Les Mille et une nuits1. Schahrazade décide de mettre en œuvre un plan pour sauver la vie d’elle-même et celle de toutes les autres femmes en racontant des contes pour le roi. En ayant cette intention, quand Schahrazade se présente chez le sultan, elle se tait sur ce sujet et le sultan ignore l’intention réelle de Schahrazade.

Compte tenu de la place privilégiée de l’acte de conter dans l’ouvrage mentionné, nous tentons d’examiner l’accomplissement de cet acte au cours de l’histoire. Pour ce faire, nous nous sommes appuyé sur la théorie de l’acte de langage de John Searle et John Langshaw Austin ainsi que l’idée que Anne Reboul partage dans son article « Le paradoxe du mensonge dans la théorie des actes du langage2 ».

Cette réflexion a entraîné d’autres interrogations : Est-il possible de considérer celui-ci en tant qu’acte de langage accompli ? L’acte de conter est-il considéré comme un acte de désinformation ou un acte thérapeutique? Quels sont les effets que l’acte de conter exerce sur les actants? En d’autres termes, dans Les Mille et Une nuits, nous étudierons le niveau métalinguistique de l’acte de conter dans le sens où la narratrice cache sa vraie intention. À cet égard, nous allons d’abord analyser l’acte de conter selon la théorie d’Austin et de Searle. Ensuite, nous allons étudier l’effet que celui-ci exerce sur les actants dans notre corpus.


Bibliographie :

1 Auteur inconnu, Les Mille et une nuits, trad. en français par Joseph-Charles Mardrus, Bibliothèque numérique romande ebook-bnr.com, 1899./p >

2 Anne Reboul, « Le paradoxe du mensonge dans la théorie des actes du langage », Cahiers de linguistique française, n° 13, pp.125-147.


Organisation Mondiale des Etats versus fausses informations

Georges Claude Deutou Pouleu, Université d’Ebolowa et de Douala (Cameroun)

Cet article cherche à élucider le sens des actions des Etats membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) devant les fausses informations, en rapport avec les exigences de la liberté d’expression et de la paix mondiale à l’époque contemporaine. Dans cette logique, on se demande : les Etats de l’Organisation Mondiale doivent-ils entreprendre d’interdire des informations jugées fausses alors même qu’ils ont le devoir de garantir à tous les citoyens la liberté d’expression, ou alors même qu’ils tentent souvent de dissimuler des faits ou de les travestir à des fins de propagande ou d’idéologie ? Doivent-ils plutôt rester indifférents face à de telles informations alors même qu’ils ont le devoir de garantir la paix à tous les citoyens du monde ? Comment, dans leur bataille contre les fausses informations, ces Etats peuvent-ils alors concilier la nécessité de protéger la liberté d’expression ou la paix mondiale avec la nécessité de combattre la désinformation, en continuant cependant de faire face à des obstacles structurels et pratiques ? Nous considérons que ces Etats doivent lutter contre les fausses informations en restant à mi-chemin de la protection de la liberté d’expression et de la protection de la paix mondiale. Pour articuler cette position, nous adoptons une démarche analytique afin de clarifier des concepts et d’en établir des distinctions quand cela se révèle impératif ; afin d’expliquer et d’évaluer, à la fois, des thèses, des arguments et des conséquences éthiques et pratiques liés à la lutte internationale contre les fausses informations. Cette démarche s’organise suivant quatre axes. D’abord, nous situons notre cadre théorique, en clarifiant les concepts de fausses informations et en explorant, en même temps, leurs conséquences ontologique, logique, épistémologique, éthique et politique (1). Ensuite, nous procédons à une critique des actions de l’Organisation Mondiale des Etats (OME) contre les fausses informations, en insistant sur les initiatives éducatives ou les partenariats avec les opérateurs technologiques mise en place, sur l’efficacité de ces initiatives, sur les politiques adoptées en matière de régulation et de vérification des faits et sur des cas spécifiques montrant les succès et les échecs de la lutte internationale contre les fausses informations (2). Cela nous permet de mettre en évidence le niveau de complexité structurelle et fonctionnelle de cette lutte internationale, en élucidant les contradictions entre la liberté d’expression et la régulation dans la sphère internationale, et en relevant les défis structurels et pratiques de la lutte internationale contre les fausses informations (3). De ce fait, il devient intéressant de suggérer des perspectives d’amélioration des politiques et des stratégies de cette lutte, en insistant sur l’enjeu d’une approche intégrant l’éducation à une éthique de la parole publique, la régulation, l’engagement communautaire, et en insistant sur la nécessité des conventions internationales contraignantes portant sur des applications elles-mêmes précises (4).

Concepts clés : Organisation Mondiale, Fausses informations, Education, Ethique, Conventions internationale contraignantes.


Réalisme et réalité ; censure et “cancel culture”

Caroline Sandrine Denhez, Université Concordia

“La littérature n’est pas l’art du bien”. Cette phrase, c’est l’auteure Amélie Nothomb qui la soumet et qui va plus loin en indiquant qu’elle n’est pas non plus un traité de morale”. Alors que le roman réaliste est le genre privilégié de notre littérature depuis 150 ans, réalisme et réalité se confondent souvent, amenant parfois l’opinion publique (et même l’IA !) à s’offusquer de tel ou tel livre. On a vu, notamment ces dernières années, nombre d’ouvrages de fiction mis au banc parce qu’ils ne disent pas ou déforme la vérité, ou au contraire en disent trop pour être moralement ou politiquement acceptables.

Le projet réaliste en littérature est, depuis 1850, de proposer un récit qui “fait vrai” et dont la volonté s’attarde à représenter fidèlement le réel. Mais en affirmant parfois leurs intentions clairement, ces romans se sont exposés, dès leur publication, à la censure d’État. On peut, dans ce cadre, évoquer L’amant de Lady Chaterley et son procès retentissant qui a permis, trente ans après sa publication, sa réédition dans sa version intégrale.

Mais cette censure d’État (morale et religieuse), pas si lointaine en France comme au Québec, semble avoir changé de visage ou de camp, c’est selon, pour s’installer du côté de l’opinion publique (Catherine Millet et Jacques Henric Censures). Le citoyen prend la place que laisse l’État : la censure devient cancel culture et auto-censure.

On a, par exemple, pu voir apparaître dans le champ de l’édition, les “lecteurs sensibles” (on pense notamment au roman de Kevin Lambert Pour que notre joie demeure). Plus inédit encore, en France dernièrement, l’éditeur Gallimard s’est adonné à une expérimentation avec l’IA, à qui il a demandé d’écrire à la manière de Houellebecq (dont les romans, du reste, font régulièrement l’objet de plaintes). Le logiciel (calqué sur le modèle humain) a alors refusé sous prétexte qu’il ne pouvait “écrire une scène qui pourrait être considérée comme offensante ou discriminatoire”.

Même quand il s’agit de romans issus d’une branche du réalisme, tel que le réalisme magique, la censure est encore présente, tant du côté des citoyens que de celui des institutions. Aux Etats-Unis, par exemple, des œuvres telles que The Bluest Eye ou Beloved de Toni Morrison sont jugées trop réalistes, trop explicites et se voient donc bannies des écoles et de certains réseaux de bibliothèques publiques.

La censure n’est pas nouvelle et somme toute presque aussi vieille que la littérature elle- même. Pour autant, il est intéressant d’interroger la censure du point de vue du roman et de son projet réaliste, et de considérer ce glissement de la censure d’État vers une censure citoyenne.


Bibliographie :

Millet, Catherine, and Jacques Henric. 2003. Censures : Censure d’ÉTat, Censure Populaire,Autocensure. Paris: Art Press.

Moderator

Yanet Hernández