Publié en 2015 par les Éditions Stanké, La bête à sa mère est le premier roman de la trilogie de « la bête » (La bête et sa cage, 2016; Abattre la bête, 2017) de David Goudreault, qui a remporté, grâce à cet ouvrage, le Grand Prix littéraire Archambault et le Prix des nouvelles voix de la littérature en 2016. En 2019, ce roman a été traduit au Canada anglais par J.C. Sutcliffe et publié par les éditions Book*hug sous le titre Mama’s boy. L’intrigue du roman n’est en réalité qu’une dure et impitoyable confession de la part du narrateur-antihéros, qui tente de reconstruire chronologiquement, sous forme d’un mémoire, les événements qui ont déterminé ses tendances criminelles. Dans ce roman-confession, le narrateur privilégie une écriture rapide et paratactique, puisant beaucoup à l’oral; également, il se montre capable de hausser significativement le registre linguistique du récit, s’appuyant sur les modèles syntaxiques de ses lectures. Il en découle une écriture informelle et moderne, mais tout à fait fluide, si « rugueuse » soit-elle (Deglise, 2018). La version anglaise du roman hésite entre des tentatives de reproduire les oscillations linguistiques de l’original et des formes de rationalisation visant à rendre le texte plus accessible au lecteur cible. En appliquant la systémique de la déformation d’Antoine Berman (1999), cette communication a pour but d’analyser les stratégies mises en place par la traductrice pour rendre l’hétérolinguisme du roman de Goudreault. Comme ce roman-mémoire repose notamment sur l’ambiguïté et l’implicite de la langue, nous explorerons comment la rationalisation dans la traduction porte atteinte aux subtilités narratives et à la mémoire du protagoniste.
En 1981, ma mère, Francine Bélanger, déposait son mémoire de maîtrise en environnement sur la protection des oies blanches à la Réserve de faune d’Ajoasté-Cap-Tourmente, près de l’endroit où elle et moi avons grandi, sur la Côte-de-Beaupré. Intitulée Analyse critique de l’évolution spatiale et environnementale de la réserve de faune du cap Tourmente, sa recherche sondait les politiques d’aménagement de la Réserve et de conservation de son espèce phare.
Quarante ans plus tard, dans le cadre de ma thèse en études littéraires et sémiotiques, je m’engage dans une démarche de réécriture de son texte, par laquelle j’explore les enjeux liés à la mémoire et au territoire. Ma communication se concentrera sur les aspects textuels et langagiers de la réécriture : ce que peut la réécriture mémorielle dans un contexte de déclin de la biodiversité et de vieillissement.
Je m’éloignerai de certaines conceptions de la réécriture didactique (la « correction ») et de la réécriture scientifique (la « vulgarisation »), avant de cerner une réécriture polysémique, inspirée du pragmatisme littéraire, capable d’ouvrir nos liens d’attachement et d’héritage (Olivier Quintyn, Implémentations/Implantations. Pragmatisme et théorie critique, 2017). Ma présentation reprendra les travaux de Françoise Collin (Un héritage sans testament, 1986), d’Annie Ernaux (« Je ne suis pas sortie de ma nuit », 1999) et de bell hooks (Belonging : a culture of place, 2009).
Au sein d’un domaine professionnel où près de 80 % des effectifs sont féminins (OTTIAQ, 2022), il semble paradoxal que l’émergence de la formation systématisée en traduction au Québec n’éclaire que sporadiquement des noms de femmes. Il est envisageable que leurs contributions aient été effacées par le passage du temps ou un révisionnisme en raison de leur statut socioculturel de l’époque. Dans le contexte de la thématique « Langage et mémoire » de ce colloque, nous aimerions rappeler l’œuvre de Jeanne Grégoire, pionnière méconnue de la formation en traduction au Québec.
Malgré l’admiration qu’elle suscitait chez ses contemporains (Association canadienne des traducteurs diplômés, 1955, p. 1), les réalisations de Jeanne Grégoire ont depuis été occultées. Il apparaît que la majorité des éléments structurants de l’enseignement de la traduction au Québec ont, à un moment ou à un autre, été sous son influence. Elle a effectivement mis sur pied les premiers cours de traduction au Québec, a fondé la première école de traduction et a chapeauté son affiliation à l’Université de Montréal (Delisle, 1990, pp. 27 et 64). Elle y a également occupé le poste de direction des études et a supervisé la création du premier programme universitaire complet de traduction et du premier cours d’interprétation offerts au Canada. En outre, elle a contribué à la naissance du Journal des traducteurs devenu par la suite Meta, une publication phare du domaine.
Dans le cadre de cette communication, nous proposons donc de réaliser le portrait de Jeanne Grégoire pour remettre en lumière son apport à la formation des traductrices québécoises et canadiennes et de familiariser les praticien.ne.s et aux étudiant.e.s avec son legs à la profession.
Depuis des décennies, des linguistes colligent des données de nature variée (enquêtes sociolinguistiques ou ethnographiques, corpus textuels patrimoniaux ou contemporains, etc.). En plus d’accomplir leurs objectifs initiaux, ces collectes contribuent indéniablement à la conservation et à la valorisation du patrimoine linguistique. Les données orales et écrites, datant d’époques différentes et provenant de régions variées, permettent de documenter et d’étudier la langue française telle qu’elle est utilisée au Québec.
Le Fonds de données linguistiques du Québec (FDLQ) est une plateforme numérique destinée à diffuser ces données tant à la communauté scientifique qu’au grand public. La création de cette plateforme, dont la conception s’inscrit dans le courant des humanités numériques, a d’abord été motivée par la nécessité de mettre à jour certains corpus et de préserver tout un patrimoine linguistique et immatériel en valorisant des travaux entrepris, dont plusieurs avant l’ère numérique.
Un exemple de l’apport du FDLQ à la recherche sur l’histoire du français au Québec est l’intégration de corpus qui n’ont pas été créés par des linguistes, comme le corpus Frédéric-Landry. Ce corpus de 34 entrevues ethnographiques enregistrées à partir des années 1970 a été constitué en partenariat avec le Musée de la Mer des Îles-de-la-Madeleine. Ces entrevues n’ont pas été réalisées pour étudier la langue, mais plutôt pour documenter le quotidien des Madelinots et Madeliniennes au début du 20e siècle. Ce type de données, peu utilisé jusqu’à présent pour l’étude de la langue, présente de nombreuses similarités avec les entrevues linguistiques. Une analyse récente du corpus Frédéric-Landry (Trudeau 2023) a d’ailleurs mis en lumière la position unique du français madelinot par rapport aux variétés acadienne et québécoise quant à l’usage de traits morphosyntaxiques stéréotypés du français acadien.
Nous présenterons le FDLQ et le corpus Frédéric-Landry à l’aune du thème du colloque, Langage et mémoire, en mettant de l’avant le rapport au passé et en réfléchissant, entre autres, aux rapports entre patrimoine et conservation.
Trudeau, Florence (2023). Regard sur le français madelinot d’empremier : une étude sociolinguistique de traits morphosyntaxiques stéréotypés du français acadien en français madelinot au tournant du 20e siècle, mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, 141 p. (URI : http://hdl.handle.net/11143/20182).
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