Langage et récit

9 novembre 202309h00-10h15C-3061 pav. Lionel-Groulx, Université de Montréal
 

La variation diachronique dans la littérature comme marqueurs d’époque

Mohamed Bourasse (Ibn Tofail, Kénitra, Maroc)

La présente réflexion se situe à la frontière entre la linguistique et la littérature. Elle s’inscrit dans un projet beaucoup plus large qui interroge cette relation tripartite Langue/Littérature/Histoire. Elle se veut alors une réflexion sociolinguistique sur la langue littéraire pour étudier la variation diachronique comme moyen d’ancrer la littérature dans l’Histoire par le biais de la langue. 

Notre corpus porte sur Illusions perdues d’Honoré de Balzac. À la lecture de cette œuvre, la première remarque que nous pouvons faire est la présence massive de la variation diachronique. Cette dernière nous situe sur un axe temporel, puisqu’il s’agit de la variation de la langue au fil des époques. Elle part de l’idée qu’il n’y a pas de langue qui ne change pas de façon permanente selon les époques. Les mots d’une langue évoluent, disparaissent ou voient naître de façon brutale ou imperceptible certains changements, que ce soit au niveau phonétique, morphologique, lexical, sémantique ou autre. Dans Illusions perdues, elle se manifeste dans l’emploi des archaïsmes et des diachronismes : des mots remontant à une époque bien déterminée mais sortis de l’usage à une autre ou ayant perdu totalement ou partiellement leur sens ou leur structure à une époque donnée. Ainsi, l’emploi de tel ou tel mot dans tel ou tel sens est une tentative sémiologique pour faire sentir le contexte historique de l’histoire et des personnages. 

Tout cela nous pousse à étudier cette variation diachronique comme des marqueurs d’époque qui inscrivent la littérature dans l’Histoire. L’objectif de cette réflexion est d’étudier la variation linguistique dans l’œuvre de Balzac ainsi que les niveaux linguistiques touchés par ce phénomène. Pour que notre étude ne soit pas gratuite et fortuite, nous allons la problématiser pour nous interroger sur sa fonction diachronique dans l’œuvre balzacienne.


Le Baobab fou de Ken Bugul. Quoi en faire de la perle?

Samuele Ellena (CELCP, CELAT, APFUCC, IIC, Université de Montréal)

Dans cette communication organisée en deux parties, je propose de réfléchir sur la conservation, la transmission et la transformation de la tradition par le biais du roman Le Baobab fou (1983) de l’autrice sénégalaise Ken Bugul. 

Dans une première partie, je montrerai comment, par le biais d’un acte de langage scandaleux, elle parvient à renégocier le rôle de l’écrivaine-femme, qui cesse d’être la custode et la reproductrice transgénérationnelle de la tradition pour acquérir le rôle de perturbatrice de l’imaginaire social institué (Castoriadis, 1975). En tant que femme, son roman est publié dans une collection, j’en cite le directeur, « ouverte à des non-professionnels de l’écriture […] et conçue comme littérature de témoignage sur le vécu populaire » (Dorsinville, 1985 : 148). En même temps, son écriture éhontée lui vaut l’effacement du nom en faveur d’un pseudonyme. Biléoma oblige ainsi l’institution littéraire (Dubois, 1978) du jeune État africain à une torsion : la reléguer au statut de témoin, mais lui reconnaître le pouvoir créatif de se nommer, pouvoir qu’elle utilise pour troubler le statut autobiographique de son récit. 

Dans la seconde partie, j’analyserai un extrait du roman où le personnage-enfant se rapporte au devoir-être de la femme sénégalaise. Âgée de deux ans, elle trouve une perle dans le sable et, cherchant à imiter les femmes de son village, l’enfonce douloureusement dans son oreille. Allégorie d’une filiation interrompue, cette image interroge le lecteur : quoi faire avec une mémoire collective qui ne correspond plus à la réalité socio-économique vécue par l’individu? Par le biais des apports de la théorie psychanalytique à propos des rapports entre Surmoi-tradition-répression-désobéissance (Freud, 1930, Freud, 1932, Marcuse, 1955, Donnet, 1990…), je laisserai le texte de Biléoma soulever la question complexe de la relation entre l’individu et la tradition que, comme une perle d’ambre enfoncée dans l’oreille, il a intériorisée, malgré la colonisation, malgré soi, malgré la modernité.

 


Le sujet nostalgique et récit de soi dans la littérature mélancolique de l’extrême contemporain

Mathilde Esperce (UQAM/Université de Pau et des Pays de l’Adour)

La nostalgie est une sorte d’amertume liée au caractère irrévocable de l’écoulement du temps, à un instant révolu qui, parce qu’il est passé, se pare des atours de l’idéalisation, du regret, du fantasme. Au siècle précédent, prenons l’exemple de Proust et sa Recherche du temps perdu, où les odeurs convoquent les souvenirs d’enfance du narrateur. 

La nostalgie teinte le présent d’une impression d’insuffisance, une sensation que le futur ne sera jamais aussi agréable que ce passé que l’on ne cesse de ressasser. Ce ressassement laisse à penser qu’au détriment du présent et du futur, le sujet nostalgique trouve plus de contentement à se consacrer au passé, en y infusant ses espérances, ses attentes insensées tournées vers l’impossible. S’y noyer, et, de fait, faire fi des autres temporalités, comme l’éternelle insatisfaite de Flaubert dans Madame Bovary.

Au sein de la littérature mélancolique du siècle présent, la nostalgie occupe une place de choix dans l’esprit torturé des acteurs du récit. Elle permet de nourrir un texte empreint d’une insondable tristesse, éprouvée par les sujets qui, en quelque sorte, se plaisent à entretenir ce mal-être incurable qui les fait vaciller, comme le jeune Werther en fait l’expérience dans l’œuvre de Goethe.

En tant que doctorante dont le sujet de thèse porte sur la mélancolie dans le récit contemporain, je propose d’explorer le caractère littéraire de la nostalgie ; comment dire par les mots du langage la souffrance provoquée par le temps qui passe? Quelle est cette puissance cathartique que permet l’usage du mot pour dire son mal? Comment le sujet nostalgique tente-il d’employer le langage comme exutoire, et quelles sont les fonctions poétiques du langage en rapport au passé, à la mémoire?

Pour ce faire, j’expliciterai la notion de nostalgie par le biais des rapports qu’entretient le sujet littéraire avec cette temporalité. Puis, j’élaborerai une analyse de son usage rhétorique dans le récit de soi, dans le récit du “Je” qui souffre et se plaît dans ce regret doucereux du temps jadis.

Modératrice

À confirmer