Le jeu vidéo en tant que médium propose des structures d’interaction différentes des médiums traditionnels dans lesquels le public prend un rôle d’abord passif comme spectateur. Inversement, la place du joueur est en une de méfiance active envers le jeu. Le mode de lecture dominant de l’expérience vidéoludique est à l’image de l’interaction physique du joueur avec le support du jeu, c’est un mode actif et tactile en plus de reposer sur un langage similaire aux codes cinématographiques. La méfiance au cœur de la relation entre le joueur et la fonction-auteur du jeu repose sur plusieurs questions : qu’est-ce qui est caché au joueur? Quelles sont les limites du jeu et comment les briser? Lesquels de ces bris ont été prévus par l’auteur?
Cette relation cache des enjeux spatiaux et linguistiques ; des enjeux qui sont centraux à The Beginner’s Guide. D’autant plus, ce jeu met l’accent sur les concepts d’intraduisibilité [Apter] et de langage (ou encodage) personnel [Hall]. Ainsi, cette présentation offre une analyse du langage vidéoludique dans le contexte de la relation entre le joueur et la fonction-auteur [Foucault] du jeu vidéo. Notre étude de cas utilise The Beginner’s Guide de Davey Wreden, un jeu vidéo publié en 2015 par Everything Unlimited Ltd. Cette expérience vidéoludique d’une durée de 90 minutes est un faux documentaire dans lequel le joueur explore des environnements virtuels présentés par la voix désincarnée du créateur du jeu. Wreden qui se joue lui-même commente les courts jeux d’un ami fictif : Coda, dont l’œuvre est profondément personnelle, intime et expérimentale. Plusieurs structures et frontières de The Beginner’s Guide se renforcent dans leur exploration du bris de communication et de confiance entre le joueur et la fonction-auteur [Danskin]. Les caractéristiques intrinsèques du médium et des environnements virtuels permettent finalement de théoriser sur l’origine de ces bris, et les travaux de Jacques Rancière au sujet de la forme du documentaire sont utilisés comme point de départ de cette réflexion.
Bibliographie
Apter, Emily. Against World Literature : On the Politics of Untranslatability. Verso, London, 2013.
Baumbach, Nico. « Jacques Rancière and the fictional capacity of documentary. » New Review of Film and Television Studies, vol. 8, no. 1, 2010, pp. 57-72.
Danskin, Ian. The Artist is Absent: Davey Wreden and The Beginner’s Guide. 26 juillet 2016. Youtube, https://youtu.be/4N6y6LEwsKc. Accédé le 9 mai 2021.
Foucault, Michel. “Qu’est-ce qu’un auteur?” Bulletin de la Société française de philosophie, Vol 63, no 3, 1969. p. 73-104.
Hall, Stuart. « Encoding, decoding. » Edité par Simon During. The Cultural Studies Reader, Routledge, 1993, pp. 90-103.
Méchoulan, Eric. « Jacques Rancière in the Forest of Signs: Indiscipline, Figurality and Translation. » Ranciere and Literature, edité par Grace Hellyer et Julian Murphet, Critical Connections ed., Edinburgh University Press, 2016, pp. 42-57.
Rancière, Jacques. The Politics of Aesthetics: The Distribution of the Sensible. Translated by Gabriel Rockhill, New York, Continuum, 2006.
Rancière, Jacques. Les bords de la fiction. LIB DU .XXI. S. ed., Gallimard, 2016.
Si le troll évoque surtout aujourd’hui un individu dévoué à la provocation sans bornes dans les espaces en ligne en tout genre, il demeure une importante figure des communautés Internet associées au jeu vidéo. Les habitués des titres multijoueurs le connaissent aussi bien par ses actes perturbateurs en jeu que pour ses discours transgressifs, voire haineux, dans les espaces de discussion. Je présente ici une réflexion théorique illustrée de nombreux exemples empiriques visant à problématiser cette figure dans l’imaginaire du jeu vidéo. À partir d’une approche critique inspirée du concept de social-historique de Castoriadis (1975), je saisis l’imaginaire social comme une réalité substantielle (Poirier, 2020) ne se limitant pas aux représentations mentales et symboliques d’une collectivité. Créateur de significations, l’imaginaire décrit le rapport d’une collectivité à elle même et explique son maintien autour des institutions dont il est le pôle créateur. En postulant la place significative du troll dans l’imaginaire du jeu vidéo, je souhaite le situer dans ce jeu institutionnel posé comme lieu privilégié du politique(Castoriadis, 1988).
La figure atteignant aujourd’hui une portée politique au delà du jeu vidéo, elle intrigue par cette capacité apparente à naviguer de monde en monde, à traverser les frontières virtuelles qui séparent plateformes et espaces en ligne et à s’approprier leurs codes, normes, langages de ces mondes pour mieux s’en déjouer. L’imaginaire des mondes du jeu vidéo s’exprime notamment dans son langage(Kirkpatrick, 2012). Du code de programmation à l’argot Internet, ces espaces apparaissent constitués par et constitutifs de cet imaginaire incarné dans le langage. Comme cette présentation le montrera, le troll encourage une compréhension renouvelée des espaces en ligne comme le produit de relations et de pratiques co-constitutives (Massey, 2005).Elles aident à définir un espace-jeu virtuel au sens d’un horizon des possibles dont la fermeture, contingente et hégémonique, doit être mise en question. J’ancre ma présentation dans une distinction conceptuelle: analyser l’espace comme le produit de pratiques hégémoniques nécessite de différencier règles, comprises comme contraintes volontaires et contrats sociaux, et mécaniques, comprises comme les «opérations ontologiques» contraignant l’action à des systèmes fixes (Boluck & Lemieux, 2017). Valoriser la puissance créatrice de l’imaginaire social implique ainsi de réfléchir à cette distinction ontologique pour mieux analyser de façon critique la tension institutionnelle qui délimite et circonscrit les espaces en ligne. Le troll trahit-il une mécompréhension des espaces en ligne et de leur co-constitution politique?
BIBLIOGRAPHIE
Boluk, S., & Lemieux, P. (2017). Metagaming: Playing, Competing, Spectating, Cheating, Trading,Making, and Breaking Videogames. University of Minnesota Press.
Castoriadis, C. (1975). L’institution imaginaire de la société. Ed. du Seuil. (Quatrième édition).
Castoriadis, C. (1988). Pouvoir, politique, autonomie. Revue de Métaphysique et de Morale, 93(1), 81-104.
Poirier, N. (2019). Cornelius Castoriadis: Du chaos naît la création. La bibliothèque du Maus.
Massey, D (2005). For Space. London:Sage
Notre étude prend son départ d’une analyse comparative et contrastive d’un couple hétéro-sémiotique nouvelle-bd. Toute exhaustivité étant exclue, nous avons choisi la nouvelle Boule de Suif de Guy de Maupassant adaptée par Li-An en 2009 et publiée aux éditions Delcourt. On jettera aussi un coup d’œil sur la version de Dino Battaglia, parue en italien en 1978 et traduite en français en 2002 pour les éditions Mosquito. Après avoir donné sur notre couple un regard croisé visant à analyser tous les composants répertoriés par Groensteen comme étant susceptibles d’être adaptés (le contexte historique, la fable, le média, le discours et le texte), nous allons concentrer notre analyse surtout sur l’aspect linguistique afin de mettre en évidence les variations que le texte a subies lors du passage d’un médium à l’autre pour mieux s’adapter à l’espace clos des bulles et à la séquentialité typique du neuvième art. Ainsi, nous verrons que les reformulations, mais aussi les ajouts ou les effacements de certains passages ne sont pas rares même dans une adaptation qui se veut fidèle au texte de départ.
Nous appuierons notre analyse sur l’étude de Pierre Fresnault-Deruelle, Le verbal dans les bandes dessinées et, comme Josiane Podeur l’a déjà fait avant nous, sur les études traductologiques de Vinay et Darbelnet, essayant d’envisager, en même temps, l’existence éventuelle de certaines tendances déformantes répertoriées par Antoine Berman dans son ouvrage La traduction et la lettre ou l’auberge du lointain. Il s’agit de travaux qui concernent, il est bien le préciser, la traduction interlinguistique ; mais dans le cas de l’adaptation verbo-iconique on remarque néanmoins quelque chose de semblable aux pratiques traductives ; une affinité qui nous autorise à employer les mêmes outils analytiques. Sans jamais oublier que, dans cet art, le verbal dialogue toujours avec l’iconique dans une conversation faite de correspondances, d’échos, de contrastes ou, pour le dire avec Umberto Eco, de négociation et donc de « pertes » et de « compensations ».
Language is a tool with which humans express their identity and foster spatially defined cultures to create a sense of a collective (Holland et al., 2001). This work demonstrates how translation involves considerations of identity based on semantics and semiotics and how stylistic choices reflect spatial identities and relationships for readers to align with or reject (Saussure, 1916/1983; Chandler, 2006). Translating picture books about mathematicians creates sociocultural spaces for discourse where theoretical and empirical studies in learning theories, identity theories and mathematics education intersect at the crossroads of transdisciplinary and translinguistic thought (see Cole, 2009; Fellus, 2019).
Specifically, we focus on how translation reflects choices of sociocultural frameworks, and how such choices produce or reproduce context-specific discourse spaces (Longinović, 2018). Defining the target audience and a relatable space was critical during the translation from English into French of a children’s picture book—Blockhead: The Life of Fibonacci (D’Agnese & O’Brien, 2010). Whether destined for Quebec or France, spatially defined societal conventions needed to be addressed and cultural voids filled. An attempt has been made to surface and explain the subtle differences between the French used in Quebec and the one used in France. The objective was to produce an equivalent text in terms of thought and imagery that is specific to the qualitatively different context of Quebec.
We identified various syntactical and lexicological obstacles to creating spatial identity during translation. A case in point is the reference in the source text to Fibonacci’s nicknames Blockhead and Bigollo, which ascribe the qualities of wanderer, idler, or dreamer. The biggest challenge was how to translate Blockhead, as the decision would have rippling effects on the co-constructions of young readers’ identities as learners of mathematics (Fellus & Glanfield, 2019). A literal translation (see IDMG, 2021; OUP, 2021) would produce tête carrée, which would be understood as a derogatory term for anglophones in Quebec. Numerous options were considered, including rêveur, imbécile, idiot and the Spanish translation (D’Agnese & O’Brien, 2019) soñador (or dreamer); regrettably, none of these were in-line with the accompanying illustrations.
With Blockhead identified as the signifier and “stupid” or “imbecile” as the signified, patate (see IDMG, 2021; CUP, 2021) was acknowledged as a relevant signifier as it is less offensive than idiot or imbécile. Note that Blockhead also alludes to Fibonacci’s mathematical work; however, no way has been found to adequately express this in French, which creates a lexicological void. Compounding this is the fact that blockhead and patate are polysemic albeit semantically different so should be recognized as distinct false equivalents.
References:
CUP (Cambridge University Press) (2021). patate. Cambridge Dictionary. https://dictionary.cambridge.org/dictionary/french-english/patate.
Chandler, D. (2006). “Semiotics for Beginners: Signs.” Princeton University, The Trustees of Princeton University, 2006, www.cs.princeton.edu/~chazelle/courses/BIB/semio2.htm.
Cole, M. (2009). The perils of translation: A first step in reconsidering Vygotsky’s theory of development in relation to formal education. Mind, Culture, & Activity, 16(4), 292−295.
D’Agnese, J., & O’Brien, J. (2010). Blockhead: The Life of Fibonacci. Henry Holt.
D’Agnese, J., & O’Brien, J. (2019). Fibonacci: El Soñador de Números. (R. S. García, Trans.). Editorial Juventud.
Fellus, O. (2019). Connecting the dots: Toward a four-dimensional conceptualization and operationalization of identity in mathematics education. ZDM Mathematics Education, 51(3), 445−455. https://doi.org/10.1007/s11858-019-01053-9
Fellus, O., & Glanfield, F. (2019). What makes a mathematician? For the Learning of Mathematics, 39(1), 26−27.
Holland, D., Lachicotte Jr, W., Skinner, D., & Cain, C. (2001). Identity and agency in cultural worlds. Harvard University Press.
IDMG (IDM Group) (2021). « blockhead » translation into French. bab.la. https://en.bab.la/dictionary/english-french/blockhead.
IDMG (IDM Group) (2021). « patate » English translation. bab.la. https://en.bab.la/dictionary/french-english/patate.
Longinović, T. Z. (2018). The migrant crypt: Cultural translation across the Balkans. Interventions, 20(6), 890−905.
OUP (Oxford University Press) (2021). blockhead. blockhead noun – Definition, pictures, pronunciation, and usage notes | Oxford Advanced Learner’s Dictionary at OxfordLearnersDictionaries.com. https://www.oxfordlearnersdictionaries.com/definition/english/blockhead.
Saussure, F. (1916/1983). Course in General Linguistics (trans. Roy Harris). London: Duckworth